Dans de nombreuses histoires de création autochtone, les humains sont la dernière espèce à arriver sur la terre. Ainsi, les humains sont arrivés dans une société qui était déjà bien organisée et qui fonctionnait déjà avec ses propres systèmes de valeurs, ses normes particulières et sa propre éthique. L’inclusion des humains dans cette société impliquait donc la création de certains accords, arrangements et règles avec les Animaux. Ces accords, arrangements et règles représentent en fait un ensemble de droits et de responsabilités que chacun doit respecter afin de vivre harmonieusement dans cette société.
Plusieurs systèmes de droits et de responsabilités s’appliquent dans le cadre de la gouvernance. Au Canada actuellement, plusieurs traditions juridiques s’entrecoupent et se superposent, incluant le grand éventail de traditions juridiques autochtones, le droit étatique (québécois et canadien) et le droit international. Afin de vous éclairer sur vos droits et responsabilités, ce module abordera les droits et responsabilités des femmes au sein des cultures et traditions juridiques autochtones, en droit fédéral (canadien) et provincial (québécois) et en droit international.
Les cultures et traditions juridiques autochtones
Il faut savoir qu’avant la colonisation, les Nations autochtones étaient autonomes sur leurs terres ancestrales et que c’était les traditions de ces Nations autochtones qui s’appliquaient à ces terres et aux personnes qui y vivaient ou qui les traversaient. Encore aujourd’hui, il existe autant de traditions juridiques autochtones qu’il y a de peuples autochtones. Certains exemples qui touchent la gouvernance en particulier sont notamment: la délibération, les lois sacrées et les lois de la nature, puis les coutumes.
La délibération
« Le Conseil des Animaux avait sauvé de la noyade la femme tombée du Ciel. Il lui avait offert l’île de la Grande Tortue pour qu’elle puisse vivre et s’épanouir ici-bas. Malgré tout, les Animaux se rendirent vite compte qu’il manquait un élément essentiel au bien-être de la femme : la lumière. Grande Tortue convoqua donc le Conseil pour trouver une solution à ce nouveau problème. »
La délibération, c’est quand les membres d’une communauté discutent ensemble des problèmes et trouvent des solutions qui pourraient faire consensus. Comme le démontre le conte, le consensus ne signifie pas que tout le monde doit être d’accord sur tout, mais plutôt que les gens tolèrent et respectent les opinions contraires et en arrivent à une solution de manière consensuelle. Une femme leader expliquait par exemple l’importance de permettre une participation de tous aux décisions importantes dans leur communauté :
« [La gouvernance ne doit pas] reproduire le même système colonial où c’est des dirigeants qui décident, les élus qui décident de tout et que nous, on n’a pas de place, on n’a pas de pouvoir, on n’a pas d’autonomie, nous les citoyens. C’est pour ça que je milite… Je défends notre place. Je pense qu’on a notre place et qu’on peut autant développer et améliorer des choses dans nos communautés. »
Les lois sacrées et les lois de la nature
« Yäa’taenhtsihk éleva ses petits-enfants seule sur l’île (…). Devenus adultes, les Jumeaux entamèrent la grande tâche qui leur avait été confiée, celle d’ordonner notre monde pour la venue de l’homme (…). Aussi, tour à tour, chacun des Jumeaux entrepris son travail., Iouske’a créant les éléments de toutes pièces et Tawihskaron’ modifiant et pervertissant tout ce que créait son frère. Ainsi commença le grand cycle de la création. »
Les lois sacrées et les lois de la nature sont tirées des relations entre un individu, ses ancêtres et son environnement naturel. Lorsque les communautés ou les individus sont confrontés à un problème, ils peuvent se référer aux lois de la nature ou aux lois de la création, comme celles relatées dans le conte, afin de trouver des solutions. C’est ce que nous expliquait une femme aînée :
« [La gouvernance] commence toujours par nous, commence toujours comme l’arbre là et quand tu sais qui tu es, quand tu connais ta vérité, tu seras si forte que rien ne pourra t’arrêter ou te démolir. Et j’ai vu cette image... Vous avez probablement déjà vu sur un rocher ou même à l’extérieur dans le ciment, vous avez probablement déjà vu une petite plante, qui pousse à l’extérieur du rocher. Vous voyez, cette plante nous dit qu’elle a la sienne, qu’elle connaît sa propre gouvernance. Et c’est tellement fort qu’elle arrive à pousser ici. La création est là pour nous apprendre ou pour que l’on apprenne les uns les autres. Et une petite plante sait, la plante sait. Elle a demandé à grandir, et elle se connaît [elle]-même... Sa règle c’est de grandir. »
Les coutumes
« Et les hommes sortirent de la caverne. Iouske’a leur enseigna comment se conduire sur Terre. Il leur dicta tout ce qu’ils devaient faire et ne pas faire pour vivre heureux et en paix. Aussi, il leur demanda de préparer un grand festin duquel tout devait être mangé. Émerveillés par la beauté de la Création, les hommes se divisèrent en clans et voyagèrent dans toutes les directions pour y établir villages et nations. »
Les coutumes sont les manières d’agir et de se comporter au sein de sa communauté. Souvent, ces règles ne sont pas écrites, mais elles proviennent plutôt des modèles et des exemples qui sont transmis aux membres de la communauté pour faire ce qui est considéré comme bien. Comme le fait Iouske’, les humains créent des règles du vivre-ensemble qu’ils transmettent à leur tour dans les villages et les nations qu’ils établissent et c’est ainsi qu’une variété de coutumes sont nées. Il est de la responsabilité de tout un chacun de respecter les coutumes, qui permettent d’assurer l’harmonie. Comme l’explique une femme aînée, ce sont des responsabilités que nous avons les uns envers les autres, plutôt que des droits individuels :
« Vous savez, l’autre chose sur les droits… nous n’avons pas de droits, ce sont des responsabilités. [Par exemple], vous pouvez dire : vous avez droit à tout ce que vous voulez. Et je dirais : j’ai le droit en tant que femme de faire n’importe quoi… Mais non, ma responsabilité est de m’assurer que vous avez tout ce dont vous avez besoin pour survivre et être heureuse et vous avez la même responsabilité envers moi. Donc, le truc, ce sont les responsabilités. Parce que quand nous avons un droit, tu es là toute seule, je suis là toute seule et on attend quelque chose. Mais lorsque vous avez des responsabilités, tu vas me demander : de quoi as-tu besoin ? Et je vais dire : de quoi as-tu besoin ? … Nous n’avons pas de droits, nous avons des responsabilités les uns envers les autres. »
Le droit fédéral (canadien) et provincial (québécois)
« Pendant ce temps, Petite Tortue vivait seule au Ciel. Mais avec tous les méfaits de Tawihskaron’, plusieurs animaux commencèrent à l’envier. Cerf eut un jour l’idée de la rejoindre. (…) Les Animaux levèrent les yeux et, en effet, aperçurent une toute petite ombre gambadant dans tous les sens. Ils étaient furieux contre Cerf. En les désertant ainsi, il avait condamné le Conseil à aller le rejoindre. »
On dit généralement que le droit canadien et québécois est un ordre imposé, c’est-à-dire que les règles ont été imposées par l’État aux individus, qu’ils soient autochtones ou allochtones. Pour les communautés autochtones, c’est tout un système colonial qui a été imposé, non seulement ses règles, mais aussi ses structures politiques. Il y a toutefois plusieurs règles de droit qui reconnaissent le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones.
Par exemple, le gouvernement canadien a reconnu que le droit à l’autonomie gouvernementale fait partie des droits ancestraux et issus de traités protégés par l’article 35 de la . Cet article garantit aussi ce droit également .
Au Québec, le 20 mars 1985, l’Assemblée nationale du Québec a entériné par une résolution les principes devant guider les relations du Québec avec les peuples autochtones, dont la reconnaissance des nations autochtones comme « des nations distinctes qui ont droit à leur culture, à leur langue, à leurs coutumes et traditions ainsi que le droit d’orienter elles-mêmes le développement de . »
autorise également les conseils de bande des Premières Nations à adopter des règlements administratifs dans certains secteurs, dont la santé, la résidence dans la réserve, les sports, les eaux, les routes et les bâtiments ainsi que la protection des animaux.
Les traités conclus entre le gouvernement du Canada, les groupes autochtones et souvent les provinces et territoires constituent également des outils juridiques visant à garantir les droits des peuples autochtones. Ils fournissent un cadre pour vivre ensemble et partager les terres que les peuples autochtones occupaient traditionnellement. Les traités définissent en effet les droits et obligations permanents de toutes les parties.
Les traités avec les peuples autochtones comprennent donc les traités historiques avec les Premières Nations et les traités modernes (aussi appelés ententes sur les revendications territoriales globales) avec les groupes autochtones.
Le droit international
La Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones contient aussi des règles qui ont été discutées entre plusieurs acteurs, comme la délibération dans les cultures juridiques autochtones. Le droit international permet donc d’établir ou de redéfinir des relations entre partenaires égaux, par exemple entre les nations autochtones et la nation canadienne. Plusieurs articles de la Déclaration traitent directement de la gouvernance :
Par exemple, la chercheuse autochtone Rauna Kuakkonen expliquait ce que l’autodétermination signifiait pour elle :
« peut être considérée comme une valeur fondamentale régie par la norme d’intégrité : l’intégrité physique, l’intégrité culturelle et l’intégrité du territoire. »
Par exemple, une femme leader mentionnait l’importance d’avoir tous les moyens financiers pour arriver à être autonome :
« Et bien l’autonomie gouvernementale, c’est que le gouvernement veut se retirer de ses obligations. Et bien il ne nous donnera pas un chèque-là. Tu sais là, tout l’argent pour l’éducation, la santé, la police, ces gros dossiers-là, faire fonctionner ton conseil de bande, ça vient du gouvernement. Et si tu veux te retirer de ça, lui, ça va faire son affaire. Mais toi, tu vas vivre comment ? Comment est-ce que tu vas payer ton école ? Comment est-ce que tu vas payer la santé ?. »
Par exemple, une femme aînée racontait comment il était difficile, mais nécessaire que les communautés développent leur propre modèle de gouvernement :
« Il y a une bureaucratie et je sais pertinemment qu’on ne peut pas changer une bureaucratie, il suffit de la laisser tomber et de recommencer. Et c’est peut-être ce que les femmes peuvent faire, de recommencer. »
Par exemple, Rauna Kuakkonen propose de s’assurer du consentement de tous les membres des communautés lors de la prise de décision :
« C’est une , qui comprend à la fois le consentement collectif et individuel. »
À TOI
Maintenant que tu en connais davantage sur les cadres juridiques de la gouvernance, pense à un enjeu qui te tient à cœur. Par exemple, ça pourrait être l’environnement ou le territoire, la famille, la jeunesse, les aînées, la médecine ou la santé, l’éducation, la langue, etc. Lorsque tu auras sélectionné ton sujet, réfléchis à ce que tu as appris dans le module 2 :
Retourne lire les articles de la Déclaration des Nations Unies sur les Peuples Autochtones cités plus haut. En les lisant, réfléchis aux questions suivantes :